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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> PRZYDZIAL v. POLAND - 15487/08 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (Fourth Section)) French Text [2016] ECHR 451 (24 May 2016)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/451.html
Cite as: [2016] ECHR 451

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    QUATRIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE PRZYDZIAŁ c. POLOGNE

     

    (Requête no 15487/08)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    24 mai 2016

     

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Przydział c. Pologne,

    La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

              András Sajó, président,
              Vincent A. De Gaetano,
              Boštjan M. Zupančič,
              Nona Tsotsoria,
              Krzysztof Wojtyczek,
              Iulia Motoc,
              Gabriele Kucsko-Stadlmayer, juges,

    et de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 mai 2016,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 15487/08) dirigée contre la République de Pologne et dont un ressortissant de cet État, M. Radosław Przydział (« le requérant »), a saisi la Cour le 3 mars 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme J. Chrzanowska, du ministère des Affaires étrangères.

    3.  Le requérant, condamné pour viol sur une mineure, se plaignait d’une violation de son droit à un procès équitable, reprochant aux autorités de l’avoir mis dans l’impossibilité de faire interroger la victime présumée dont les dépositions avaient été, selon lui, l’élément principal sur lequel reposait sa condamnation.

    4.  Le 30 novembre 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    5.  Le requérant, né en 1984, réside à Oława.

    6.  Le 10 février 2004, T.L., professeure au lycée professionnel d’Oława, alerta la police au sujet d’un viol dont aurait été victime l’une de ses élèves, Z.S. Elle indiqua que la jeune fille s’était confiée à elle, qu’elle avait montré des signes visibles de détresse psychologique, mais qu’elle avait refusé de porter plainte. Par ailleurs, elle lui avait fait parvenir des lettres laissant transparaître ses tendances suicidaires. Lors d’une enquête sociale menée au domicile de Z.S. à la suite du signalement effectué par T.L., la jeune fille indiqua avoir été victime, à l’âge de 14 ans, d’un viol commis en juillet 2002 par trois jeunes hommes en présence d’un quatrième.

    7.  Le 27 février 2004, elle fut interrogée par les enquêteurs.

    8.  En mars 2004, à une date non précisée, le requérant et deux suspects, M.K. et P.H., soupçonnés de viol sur la personne de Z.S., furent arrêtés.

    9.  Le 12 mars 2004, Z.S. fut entendue par un juge en présence d’un procureur et d’une psychologue. Elle reconnut le requérant sur une photo que lui avaient montrée les enquêteurs et l’identifia comme étant son agresseur ; elle confirma ses dires lors d’une parade d’identification organisée le 22 mars 2004.

    10.  Dans un rapport du 18 mars 2004, la psychologue qui avait assisté à l’audition de Z.S. estimait son récit « hautement crédible ». Elle observait également que, au regard de l’état psychologique de Z.S. et de ses symptômes, voire de ses tendances suicidaires, il était préférable de la dispenser de participer à la procédure et de l’hospitaliser. Les 23 et 24 mars, le rapport susvisé fut complété.

    11.  Le 23 mars 2004, Z.S. fut à nouveau entendue par un juge en présence du procureur et de la psychologue. Le même jour, elle participa à une visite sur le lieu de l’infraction.

    12.  Le 24 mars 2004, l’un des coaccusés du requérant, P.H., ainsi que W.H., son jeune frère, témoin oculaire du viol, furent interrogés par les enquêteurs. L’audition de W.H., mineur à l’époque des faits, eut lieu en présence d’un psychologue.

    13.  Le 18 mai 2004, Z.S. fut hospitalisée à la clinique psychiatrique de Wrocław en raison d’une tentative de suicide.

    14.  Dans un rapport du 28 mai 2004, la psychologue indiqua que l’état psychologique de Z.S. ne lui permettait pas de participer à la procédure. Le médecin-chef de la clinique psychiatrique présenta des conclusions allant dans le même sens.

    15.  Le 26 mai 2004, Z.S. fut entendue à la clinique par un juge en présence du procureur et de la psychologue susmentionnée.

    16.  Par un jugement du 23 décembre 2005, le tribunal de district d’Oława déclara le requérant et les coaccusés M.K. et P.H. coupables des faits reprochés et les condamna à des peines allant de six à huit années d’emprisonnement. Le requérant fut condamné à huit ans d’emprisonnement.

    Dans ses motifs, le tribunal retint les éléments suivants : le 19 juillet 2002, Z.S. s’était rendue avec sa tante chez des proches au village d’Owczary ; le soir, alors qu’elle rentrait seule chez elle, elle avait croisé le requérant et M.K., qu’elle connaissait seulement de vue ; ceux-ci s’étaient adonnés à des attouchements, mais elle leur avait échappé ; deux jours plus tard, elle avait de nouveau croisé le requérant et M.K., accompagnés de P.H. et de W.H. ; le requérant lui avait proposé de se joindre à eux, affirmant vouloir lui montrer quelque chose ; les jeunes gens avaient eu un comportement normal, riant et discutant avec elle ; ils étaient entrés dans la cour de l’une des maisons du village ; le requérant avait brièvement pénétré à l’intérieur de la maison et, après qu’il en fût ressorti, M.K. et P.H. y avaient entraîné Z.S. ; ils l’avaient obligée à s’allonger sur une banquette dans l’une des pièces ; pendant que M.K. et P.H. la maintenaient, le requérant lui avait ôté ses sous-vêtements ; tous trois l’avaient ensuite violée l’un après l’autre.

    17.  Le tribunal observa que le requérant et le coaccusé M.K. avaient nié les faits reprochés et que leurs déclarations étaient contredites par celles de Z.S. Prenant en compte les rapports médicaux aux termes desquels l’état psychologique de Z.S. ne lui permettait pas de participer à la procédure, le tribunal procéda pendant l’audience à la lecture des dépositions de la jeune fille, en vertu de l’article 391 § 1 du code de procédure pénale (CPP). Il jugea que ces dépositions, analysées conjointement avec les autres éléments de preuve, confirmaient la charge pesant sur le requérant et qu’elles étaient notamment corroborées par les aveux du coaccusé P.H., lequel avait, pendant l’instruction préliminaire, reconnu les faits reprochés et fourni aux enquêteurs une description détaillée de l’infraction, de la victime et du rôle de chacun des coaccusés.

    Bien qu’à la fin de l’instruction et pendant son procès P.H. fût revenu sur ses aveux, soutenant qu’ils lui avaient été extorqués sous la contrainte, le tribunal estima que ses déclarations valant rétractation de ses aveux initiaux n’étaient pas dignes de foi. Il observa que P.H. avait modifié à plusieurs reprises ses allégations selon lesquelles il avait été soumis à des mauvais traitements lors de ses interrogatoires, que ses versions successives des faits étaient incohérentes et qu’aucune explication plausible n’avait été apportée sur leurs contradictions. Le tribunal releva que les deuxièmes déclarations de P.H. étaient en partie contredites par les procès-verbaux de la police et par les témoignages, logiques et cohérents à ses yeux, des agents impliqués dans son arrestation, qui auraient fermement rejeté les allégations formulées à leur encontre. Il considéra que, dès lors que l’arrestation de P.H. avait été effectuée dans l’urgence et que les agents n’avaient pas été informés des détails de l’affaire de viol dans laquelle ils avaient été appelés à intervenir, il n’était pas vraisemblable qu’ils eussent essayé de lui extorquer des déclarations auto-incriminantes. Pour le tribunal, il ne ressortait pas non plus du procès-verbal d’arrestation que P.H. avait signalé aux autorités les mauvais traitements allégués ni qu’il avait demandé à être examiné par un médecin.

    18.  Le tribunal observa encore que, lors de l’instruction préliminaire, P.H. avait été entendu successivement par les enquêteurs de police et par une procureure en l’absence des agents de police. Il considéra que les aveux qu’il avait livrés devant cette dernière étaient exhaustifs et qu’ils corroboraient la version qu’il avait donnée aux enquêteurs. Il souligna que P.H. ne s’était jamais plaint de mauvais traitements aux enquêteurs ou devant le tribunal ayant décidé sa détention. Il nota que, à la différence de ses premiers aveux, ceux qu’il avait faits plus tard n’avaient été ni spontanés ni cohérents, et qu’il avait ainsi modifié son récit à plusieurs occasions et peiné à répondre même à des questions très simples.

    Le tribunal indiqua qu’il n’était pas convaincu par les explications de P.H., selon lesquelles les incohérences entre ses différents récits étaient imputables au temps écoulé depuis les faits. Il nota à cet égard que, lors de son audition - qui s’était déroulée environ six mois après son arrestation -, P.H. avait livré au tribunal un récit complet et détaillé des faits et que, en revanche, à l’occasion d’une confrontation organisée quatre mois après son arrestation entre lui et un agent de police, il avait affirmé ne pas être en mesure de les reconstituer. Le tribunal considéra que ses allégations de mauvais traitements n’étaient pas logiques, P.H. étant à la fois le seul coaccusé à les formuler et le dernier à avoir été arrêté. En effet, pour le tribunal, même à supposer que les enquêteurs eussent voulu extorquer aux suspects des témoignages allant dans un sens donné, ils auraient eu recours de préférence à des moyens de contrainte à l’encontre du suspect arrêté en premier. Le tribunal releva en outre que certaines contradictions entre les premiers aveux de P.H. et les dépositions de Z.S. étaient imputables à la volonté de P.H. d’atténuer sa responsabilité et celle de son jeune frère. De plus, selon le tribunal, à supposer que ses aveux initiaux eussent effectivement été extorqués sous la contrainte exercée par les agents, les enquêteurs auraient alors vraisemblablement fait en sorte que leur contenu concordât au maximum avec la version de la victime.

    19.  Le tribunal releva par ailleurs que, hormis les aveux susmentionnés de P.H., les dépositions de Z.S. étaient corroborées par les déclarations faites lors de l’instruction préliminaire par W.H., témoin oculaire des faits. Bien qu’à l’instar de son frère aîné celui-ci fût revenu sur ses déclarations, affirmant avoir été obligé par les enquêteurs de faire un témoignage défavorable aux accusés, le tribunal estima que ses deuxièmes déclarations n’étaient pas crédibles et les rejeta pour des raisons essentiellement similaires à celles qu’il avait invoquées pour rejeter les deuxièmes aveux de son frère. Il observa de surcroît que la psychologue, qui avait assisté à l’audition de W.H., avait fermement démenti les allégations du jeune homme à propos des prétendues mesures de coercition qu’il évoquait.

    20.  Le tribunal ajouta que ses constatations en matière de culpabilité des accusés reposaient en outre sur des éléments de preuve supplémentaires dont les dépositions de témoins auriculaires, les résultats de la visite sur le lieu de l’infraction et les rapports médicaux. Il constata que certains témoins, dont la professeure de Z.S., la proviseure et la psychologue de son lycée, ainsi que ses proches, avaient rapporté sa détresse, et que tous les témoins étaient convaincus que ses déclarations étaient véridiques. Il nota en particulier que, selon la déclaration devant le tribunal de la psychologue susmentionnée, Z.S. présentait les symptômes typiques des victimes d’agressions sexuelles, tels que l’instabilité émotionnelle caractéristique des personnes à qui l’on a fait du mal, le sentiment de culpabilité, le rejet de l’aide proposée et le refus de dénoncer ses agresseurs. Il précisa que, selon les déclarations de la proviseure du lycée de Z.S., cette dernière lui avait fait parvenir des lettres laissant transparaître ses tendances suicidaires. Ce fait ainsi que les déclarations de la proviseure à propos de l’incapacité de Z.S. à parler de l’agression subie corroboraient le témoignage de la psychologue. Le tribunal releva que l’ensemble des témoignages susvisés était fiable et cohérent et qu’il corroborait les dépositions de la victime. Il estima que cette version était de plus étayée par les résultats de la visite sur le lieu de l’infraction, lesquels montraient, selon le tribunal, que Z.S. n’aurait pas pu connaître certains détails si les faits, tels qu’elle les avait relatés, ne s’étaient pas réellement produits. Il ajouta que le rapport médical établi à l’issue de l’examen de Z.S. confirmait lui aussi la crédibilité de son récit.

    21.  De surcroît, le tribunal releva que les arguments présentés par la défense pour contester la crédibilité de la victime n’étaient pas fondés. Il ne décela lui-même aucun élément propre à soupçonner Z.S. d’avoir inventé sa version des faits. Il estima aussi que le recueil de ses dépositions par un tribunal conférait à ses déclarations une force probante élevée. Il observa que l’absence de Z.S. à l’audience n’était pas imputable aux autorités, compte tenu des conclusions des rapports médicaux selon lesquelles sa participation à la procédure risquait de nuire à sa santé mentale, voire de la conduire au suicide. Il nota que les difficultés susceptibles d’en avoir résulté pour la défense avaient été atténuées par la possibilité qui avait été accordée à celle-ci pendant l’audience d’interroger la psychologue ayant assisté à l’ensemble des auditions de Z.S. et s’étant entretenue avec la jeune fille à plusieurs occasions, et d’obtenir des réponses à l’ensemble des questions posées. Par ailleurs, il cita le rapport que la psychologue avait soumis aux autorités, dans lequel elle avait estimé crédibles les déclarations de Z.S. et argué que, eu égard à son état psychologique, la jeune fille n’aurait pas été en mesure d’inventer quoi que ce fût. Le tribunal observa que, lors de son audition organisée à la clinique, Z.S. s’était expliquée sur les raisons qui l’avaient, dans un premier temps, poussée à dissimuler certains détails et que la psychologue présente à son audition avait estimé ces explications parfaitement crédibles. Il ajouta encore que l’ensemble des conclusions de la psychologue était cohérent et convaincant et qu’il corroborait les constatations auxquelles il était lui-même parvenu.

    22.  Dans l’appel qu’il interjeta contre le jugement du tribunal de district d’Oława, le requérant soutenait, notamment, que le défaut d’audition de Z.S. à l’audience et l’admission, en tant qu’élément de preuve à charge, de sa déposition recueillie avant le procès constituaient une violation de l’article 185 a) du CPP combiné avec l’article 6 de ce même code. Il se plaignait en outre d’une violation de l’article 6 du CPP au motif que son défenseur n’avait pas été présent à son interrogatoire et que les autorités avaient omis de l’informer au préalable des auditions de Z.S.

    23.  Par un jugement du 13 juin 2006, le tribunal régional de Wrocław confirma pour l’essentiel le jugement de première instance. Retenant le jeune âge du requérant comme circonstance atténuante, il ramena la peine de ce dernier à cinq ans d’emprisonnement.

    Le tribunal régional estima que le tribunal de district avait correctement établi et apprécié les faits de l’affaire, qu’il avait dûment motivé son jugement et que ses constatations reposaient sur l’ensemble des preuves pertinentes, y compris celles contredisant la version de la victime, et qu’il avait dûment explicité les raisons l’ayant amené à retenir certains moyens de preuve au détriment d’autres moyens.

    24.  Reconnaissant que les autorités auraient dû informer les défenseurs que Z.S. serait entendue et que leur omission à cet égard constituait un manquement à l’article 185 a) § 2 du CPP qui avait entravé la réalisation effective des droits de la défense, le tribunal régional soulignait en revanche que l’absence de Z.S. à l’audience et, partant, l’impossibilité pour le requérant de l’interroger à ce stade n’étaient pas imputables au tribunal de district. Il notait à cet égard que, après avoir établi, à partir des expertises, que l’état de santé de Z.S. ne lui permettait pas de participer au procès, le tribunal de district avait décidé de ne pas la convoquer à l’audience, et que cette absence n’emportait pas d’invalidation obligatoire de la preuve constituée par ses dépositions, celles-ci devant être appréciées conjointement avec les autres éléments de preuve. Il estima que le tribunal de district avait analysé les déclarations en question en profondeur et avec les précautions requises, qu’il s’était appuyé - lorsqu’il l’avait jugé nécessaire - sur les rapports d’experts et enfin qu’il avait expliqué de manière convaincante dans ses motifs pourquoi les dépositions litigieuses avaient été retenues en tant que pièces à conviction.

    Il reconnaissait que, en tout état de cause, la condamnation du requérant ne reposait pas exclusivement sur les dépositions de Z.S., mais qu’elle était étayée par d’autres éléments de preuve, en particulier les aveux de P.H. et les déclarations de W.H. Il estimait que, eu égard aux motifs du jugement du tribunal de district, celui-ci avait analysé en profondeur les déclarations de ces derniers valant rétractation de leurs aveux initiaux et qu’il avait dûment motivé leur rejet pour manque de crédibilité. Il ajouta que les motifs du tribunal de district montraient en outre que les allégations selon lesquelles les déclarations de P.H. et de W.H. leur auraient été extorquées n’étaient pas étayées, voire qu’elles étaient contredites par certains des moyens de preuve.

    25.  Le requérant se pourvut en cassation. Le 28 septembre 2007, la Cour suprême rejeta son recours pour défaut manifeste de fondement par une décision dépourvue de motivation écrite.

    II.  LE DROIT INTERNE ET INTERNATIONAL PERTINENT

    A.  Le droit interne

    Le code de procédure pénale (CPP)

    26.  L’article 6 du CPP prévoit à la fois les droits de l’accusé de se défendre et de bénéficier de l’assistance d’un défenseur et l’obligation des autorités de l’en informer.

    27.  L’article 185 a) § 2 du CPP dispose que, lorsque la victime d’une infraction commise avec violence ou avec recours à des menaces illicites ou visée par les dispositions des chapitres XXIII, XXV et XXVI du code pénal est âgée de moins de 15 ans, son audition a lieu devant le tribunal en présence d’un psychologue. Le procureur, le défenseur et le représentant de la victime ont le droit d’y participer. Par ailleurs, lorsque l’accusé a été informé de l’audition de la victime et qu’il n’a pas de défenseur, le tribunal lui en attribue un.

    28.  Selon l’article 391 § 1 du CPP, lorsqu’un témoin séjourne à l’étranger ou qu’il est impossible de lui notifier une citation à comparaître, il est possible de faire lire à l’audience des passages pertinents des procès-verbaux de ses dépositions recueillies antérieurement, au cours d’une instruction ou devant un tribunal, dans la même affaire ou dans une autre, ou dans le cadre d’une autre procédure prévue par la loi.

    B.  Le droit international

    1.  La Convention des Nations Unis relative aux droits de l’enfant

    29.  Les dispositions pertinentes de la Convention des Nations Unis du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant se lisent ainsi :

    Article 19

    « 1.  Les États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié.

    2.  Ces mesures de protection doivent comprendre, selon qu’il conviendra, des procédures efficaces pour l’établissement de programmes sociaux visant à fournir l’appui nécessaire à l’enfant et à ceux à qui il est confié, ainsi que pour d’autres formes de prévention, et aux fins d’identification, de rapport, de renvoi, d’enquête, de traitement et de suivi pour les cas de mauvais traitements de l’enfant décrits ci-dessus, et comprendre également, selon qu’il conviendra, des procédures d’intervention judiciaire. »

    2.  La Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels

    30.  Les articles pertinents de la Convention du Conseil de l’Europe du 25 octobre 2007 sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels disposent :

    Chapitre II - Mesures préventives
    Article 4 - Principes

    «  Chaque Partie prend les mesures législatives ou autres nécessaires pour prévenir toute forme d’exploitation et d’abus sexuels concernant des enfants et pour protéger ces derniers. »

    Chapitre VII - Enquêtes, poursuites et droit procédural
    Article 30 - Principes

    « 1.  Chaque Partie prend les mesures législatives ou autres nécessaires pour que les enquêtes et procédures pénales se déroulent dans l’intérêt supérieur et le respect des droits de l’enfant.

    2.  Chaque Partie veille à adopter une approche protectrice des victimes, en veillant à ce que les enquêtes et procédures pénales n’aggravent pas le traumatisme subi par l’enfant et que la réponse pénale s’accompagne d’une assistance, quand cela est approprié. »

    III.  NORMES PERTINENTES DE L’UNION EUROPÉENNE

    A.  La directive 2011/92/UE

    31.  Les dispositions pertinentes en l’espèce de la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 relative à la lutte contre les abus sexuels et l’exploitation sexuelle des enfants, ainsi que la pédopornographie stipulent ce qui suit:

    (...)

    « Des mesures destinées à protéger les enfants victimes devraient être adoptées dans leur intérêt supérieur, compte tenu des résultats d’une évaluation de leurs besoins. (...) leur participation à une procédure pénale ne devrait pas, dans toute la mesure du possible, leur causer de traumatisme supplémentaire résultant d’interrogatoires ou de contacts visuels avec les auteurs de l’infraction. Il convient d’apprendre à bien connaître l’enfant et de savoir comment il réagit face à une expérience traumatisante, et ce afin de garantir la qualité des preuves recueillies et de diminuer le stress de l’enfant lors de la mise en œuvre des mesures nécessaires. »

    (...)

    Article 18
    Dispositions générales concernant les mesures d’assistance, d’aide et de protection en faveur des enfants victimes

    « 1.   Les enfants victimes des infractions visées aux articles 3 à 7 bénéficient d’une assistance, d’une aide et d’une protection, conformément aux articles 19 et 20, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant.

    2.   Les États membres prennent les mesures nécessaires pour garantir qu’un enfant bénéficie d’une assistance et d’une aide dès que les autorités compétentes ont des motifs raisonnables de croire qu’il pourrait avoir fait l’objet d’une des infractions visées aux articles 3 à 7.

    3.   Les États membres veillent à ce qu’en cas d’incertitude sur l’âge d’une victime d’une des infractions visées aux articles 3 à 7 et lorsqu’il existe des raisons de croire qu’elle est un enfant, cette personne soit présumée être un enfant et reçoive un accès immédiat aux mesures d’assistance, d’aide et de protection prévues aux articles 19 et 20. »

    B.  La directive 2012/29/UE

    32.  En ses parties pertinentes, la directive 2012/29/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité prévoit ceci :

    (...)

    «  Les victimes de la traite des êtres humains, du terrorisme, de la criminalité organisée, de violence domestique, de violences ou d’exploitation sexuelles, de violences fondées sur le genre, d’infractions inspirées par la haine, les victimes handicapées et les enfants victimes ont souvent tendance à subir un taux élevé de victimisation secondaire et répétée, d’intimidations et de représailles. Il convient de faire particulièrement attention lorsqu’on évalue si ces victimes risquent de subir de telles victimisations, intimidations et représailles, et il devrait y avoir une forte présomption qu’elles auront besoin de mesures de protection spécifiques. »

    (...)

    « Les victimes identifiées comme vulnérables aux victimisations secondaires et répétées, aux intimidations et aux représailles devraient bénéficier de mesures de protection appropriées durant la procédure pénale. La nature exacte de ces mesures devrait être déterminée au moyen de l’évaluation personnalisée, en tenant compte des souhaits de la victime. L’ampleur de ces mesures devrait être déterminée sans préjudice des droits de la défense et dans le respect du pouvoir discrétionnaire du juge. Les préoccupations et craintes de la victime concernant la procédure devraient être un élément essentiel pour déterminer si elle a besoin de mesures particulières. »

    (...)

    CHAPITRE 1
    DISPOSITIONS GÉNÉRALES
    Article premier

    (...)

    « 2. Les États membres veillent à ce que, lorsqu’il s’agit d’appliquer la présente directive et que la victime est un enfant, l’intérêt supérieur de l’enfant soit une considération primordiale, évaluée au cas par cas. Une approche axée spécifiquement sur l’enfant, tenant dûment compte de son âge, de sa maturité, de son opinion, de ses besoins et de ses préoccupations, est privilégiée (...). »

    CHAPITRE 4
    PROTECTION DES VICTIMES ET RECONNAISSANCE DES VICTIMES AYANT DES BESOINS SPÉCIFIQUES EN MATIÈRE DE PROTECTION
    Article 22
    Évaluation personnalisée des victimes afin d’identifier les besoins spécifiques en matière de protection personnalisée

    « 1. Les États membres veillent à ce que les victimes fassent, en temps utile, l’objet d’une évaluation personnalisée, conformément aux procédures nationales, afin d’identifier les besoins spécifiques en matière de protection et de déterminer si et dans quelle mesure elles bénéficieraient de mesures spéciales dans le cadre de la procédure pénale, comme prévu aux articles 23 et 24, en raison de leur exposition particulière au risque de victimisation secondaire et répétée, d’intimidations et de représailles.

    (...)

    4. Aux fins de la présente directive, lorsque la victime est un enfant, elle est présumée avoir des besoins spécifiques en matière de protection en raison de sa vulnérabilité à la victimisation secondaire et répétée, aux intimidations et aux représailles. Pour déterminer si et dans quelle mesure il bénéficierait des mesures spéciales visées aux articles 23 et 24, l’enfant victime fait l’objet de l’évaluation personnalisée visée au paragraphe 1 du présent article. »

    (...)

    Article 23
    Droit à une protection des victimes ayant des besoins spécifiques en matière de protection au cours de la procédure pénale

    « 1. Sans préjudice des droits de la défense et dans le respect du pouvoir discrétionnaire du juge, les États membres veillent à ce que les victimes ayant des besoins spécifiques en matière de protection qui bénéficient de mesures spéciales identifiées à la suite d’une évaluation personnalisée prévue à l’article 22, paragraphe 1, puissent bénéficier des mesures prévues aux paragraphes 2 et 3 du présent article. Une mesure spéciale envisagée à la suite de l’évaluation personnalisée n’est pas accordée si des contraintes opérationnelles ou pratiques la rendent impossible ou s’il existe un besoin urgent d’auditionner la victime, le défaut d’audition pouvant porter préjudice à la victime, à une autre personne ou au déroulement de la procédure. »

    (...)

    EN DROIT

    SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 §§ 1 ET 3 d) DE LA CONVENTION

    33.  Le requérant se plaint du défaut d’équité de la procédure. Il reproche aux autorités de l’avoir mis dans l’impossibilité d’interroger la victime dont les déclarations étaient, selon lui, l’élément principal ayant fondé sa condamnation. Il invoque l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention, ainsi libellé :

    « 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)

    (...)

    3.  Tout accusé a droit notamment à :

    (...)

    d)  interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge. »

    34.  Le Gouvernement combat cette thèse.

    A.  Sur la recevabilité

    35.  Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

    B.  Sur le fond

    1.  Thèses des parties

    36.  Le requérant maintient ses allégations.

    37.  Le Gouvernement estime que l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention n’a pas été violé en l’espèce. Se référant aux rapports médicaux communiqués aux autorités internes, il estime que l’absence de la victime à l’audience et, partant, la lecture de ses dépositions faites avant le procès étaient justifiées par un motif sérieux. Il ajoute que l’hospitalisation de Z.S. à l’unité de psychiatrie infantile de la clinique de Wrocław de mai à juillet 2004 témoigne de la gravité de son état. Il ajoute que, en avril 2005, le médecin-chef de cette clinique et la psychologue se sont opposés à la participation de Z.S. au procès du requérant.

    38.  Le Gouvernement expose ensuite que, à la différence de certaines affaires examinées par la Cour, notamment A.M. c. Italie (no 37019/07, CEDH 1999-IX), S.N. c. Suède (no 34209/96, CEDH 2002-V), P.S. c. Allemagne (no 33900/96, 20 décembre 2001), Demski c. Pologne (no 22695/03, 4 novembre 2008), et W.S. c. Pologne (no 21508/02, 19 juin 2007), dans la présente affaire les dépositions faites par Z.S. avant le procès ne constituaient pas la preuve unique ou déterminante de la culpabilité du requérant, dès lors que les tribunaux avaient disposé d’un ensemble de preuves la corroborant. Il indique que la condamnation de l’intéressé était notamment étayée par les aveux du coaccusé, les dépositions du témoin oculaire et d’autres moyens de preuve, dont les déclarations des témoins auriculaires, les résultats de la visite sur le lieu de l’infraction et les preuves documentaires telles que les lettres que Z.S. aurait fait parvenir à sa professeure et dans lesquelles elle lui aurait progressivement confié avoir été victime d’une agression sexuelle.

    Le Gouvernement indique encore que les déclarations par lesquelles le coaccusé du requérant était revenu sur ses aveux initiaux ont été rejetées comme n’étant pas dignes de foi. Selon le Gouvernement, les motifs des juridictions internes montrent que les allégations du coaccusé, selon lesquelles ses aveux lui auraient été extorqués, ont elles aussi été rejetées sur la base d’éléments les contredisant. Il en serait allé de même pour les affirmations du témoin oculaire, selon lesquelles les enquêteurs l’auraient obligé à faire un témoignage défavorable aux accusés. Ces allégations auraient été jugées non crédibles, entre autres, sur la base des déclarations des enquêteurs mis en cause et de celles de la psychologue qui avait assisté à l’audition du témoin. La psychologue en question a estimé que seules les dépositions initiales du témoin oculaire étaient crédibles.

    39.  Le Gouvernement ajoute que la lecture à l’audience des dépositions de Z.S., en application de l’article 391 § 1 du CPP, qui réglemente la recevabilité d’une preuve constituée par les déclarations d’un témoin absent, était une mesure susceptible de compenser les difficultés causées à la défense par son absence. Il estime que le recueil par un magistrat des dépositions litigieuses confère à celles-ci une force probante plus importante, le magistrat en question ayant pu observer l’attitude de la victime et se forger ainsi un avis sur sa crédibilité. De plus, la psychologue aurait elle aussi estimé que les déclarations de Z.S. étaient dignes de foi. Le Gouvernement souligne en outre que les dépositions susmentionnées ont été corroborées par les résultats de la visite sur le lieu de l’infraction organisée en présence de la jeune fille.

    40.  Le Gouvernement estime enfin que le requérant, assisté par un avocat, a pu prendre connaissance de l’ensemble des éléments du dossier et les discuter lors des débats qui se sont déroulés, selon lui, dans le respect du contradictoire. Toujours d’après le Gouvernement, le requérant a pu, à l’audience, exposer les arguments en sa faveur, faire citer les témoins à décharge et contre-interroger ceux à charge. Lors de son procès devant le tribunal de district, il n’aurait pas demandé à pouvoir questionner Z.S. ; son grief portant sur l’absence de cette dernière à l’audience n’aurait été soulevé qu’au stade de l’appel contre sa condamnation prononcée en première instance. Le Gouvernement indique en outre que, lors des débats devant le tribunal de district, le requérant a pu contester les dépositions litigieuses et mettre en cause la crédibilité de leur auteure. Il ajoute que, dès lors que le requérant a eu une possibilité suffisante de discuter ces dépositions pendant l’audience, le fait que son défenseur n’a pas été informé des auditions au cours desquelles les dépositions en cause avaient été faites n’a pas emporté violation du droit de l’intéressé à un procès équitable.

    2.  L’appréciation de la Cour

    41.  La Cour souligne que, aux termes de l’article 19 de la Convention, elle a pour tâche d’assurer le respect des engagements résultant de la Convention pour les Hautes Parties contractantes. En particulier, il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention. Si la Convention garantit en son article 6 le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves en tant que telle, matière qui relève au premier chef du droit interne (Teixeira de Castro c. Portugal, 9 juin 1998, § 34, Recueil des arrêts et décisions 1998-IV, Schenk c. Suisse, 12 juillet 1988, §§ 45-46, série A no 140, Bykov c. Russie [GC], no 4378/02, § 88, 10 mars 2009, et Aigner c. Autriche, no 28328/03, § 33, 10 mai 2012).

    42.  Rappelant que les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1, elle examinera le grief sous l’angle de ces deux textes combinés (voir, parmi beaucoup d’autres, Van Mechelen et autres c. Pays-Bas, 23 avril 1997, § 49, Recueil 1997-III, Gonzalez Najera c. Espagne (déc.), no 61047/13, § 41, 11 février 2014, et Vronchenko c. Estonie, no 59632/09, § 53, 18 juillet 2013).

    43.  Si la Convention garantit en son article 6 le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves ou leur appréciation, matière qui relève au premier chef du droit interne et des juridictions nationales (Schenk, précité, §§ 45-46). La Cour n’a donc pas pour tâche de se prononcer par principe sur la recevabilité des éléments de preuve - par exemple de ceux obtenus de manière illégale au regard du droit interne. Son rôle consiste à examiner si la procédure dans son ensemble, y compris le mode de présentation des moyens de preuve, a revêtu un caractère équitable (idem, § 26).

    44.  L’article 6 § 3 d) consacre le principe selon lequel, avant qu’un accusé puisse être déclaré coupable, tous les éléments à charge doivent en principe être produits devant lui en audience publique, en vue d’un débat contradictoire. Ce principe ne va pas sans exceptions, mais on ne peut les accepter que sous réserve des droits de la défense ; en règle générale, ceux-ci commandent de donner à l’accusé une possibilité adéquate et suffisante de contester les témoignages à charge et d’en interroger les auteurs, soit au moment de leur déposition, soit à un stade ultérieur (Lucà c. Italie, no 33354/96, § 39, CEDH 2001-II, et Solakov c. « l’ex-République yougoslave de Macédoine », no 47023/99, § 57, CEDH 2001-X).

    45.  L’emploi de dépositions recueillies lors de la phase de l’enquête préliminaire et de l’instruction ne se heurte pas en soi aux paragraphes 3 d) et 1 de l’article 6, sous réserve du respect des droits de la défense (Saïdi c. France, 20 septembre 1993, § 43, série A no 261-C, et A.M. c. Italie, § 25). Toutefois, lorsqu’une telle déposition constitue l’élément à charge unique ou déterminant, son admission en tant que moyen de preuve n’emporte pas automatiquement violation de l’article 6 § 1 de la Convention : la procédure peut être considérée comme équitable dans sa globalité lorsqu’il existe des éléments suffisamment compensateurs des inconvénients liés à l’admission d’une telle preuve pour permettre une appréciation correcte et équitable de la fiabilité de celle-ci (Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni ([GC], nos 26766/05 et 22228/06, §§ 146-147, CEDH 2011).

    46.  L’article 6 ne reconnaît pas à l’accusé un droit absolu d’obtenir la comparution de témoins devant un tribunal. Il incombe en principe au juge national de décider de la nécessité ou de l’opportunité de citer un témoin (voir, parmi d’autres, Bricmont c. Belgique, 7 juillet 1989, § 89, série A no 158, S.N. précité, § 44, CEDH 2002-V, Scheper c. Pays-Bas (déc.), no 39209/02, 5 avril 2005, et Aigner, précité, § 35).

    47.  La Cour observe que les dispositions pertinentes en l’espèce du droit international et du droit de l’Union Européenne (paragraphes 29-32 ci-dessus) comportent des recommandations en matière de procédure pénale, notamment afin de prendre en compte la vulnérabilité particulière des mineurs victimes au cours de la procédure et d’éviter que l’enfant ne subisse un nouveau préjudice du fait de l’enquête.

    48.  La Cour tient compte des particularités des procédures pénales portant sur des infractions à caractère sexuel. Ce type de procédure est souvent vécu comme une épreuve par la victime, en particulier lorsque celle-ci est confrontée contre son gré à l’accusé. Ces aspects prennent d’autant plus de relief dans une affaire impliquant un mineur. Pour apprécier si un accusé a bénéficié ou non d’un procès équitable au cours d’une telle procédure, il faut tenir compte du droit de la victime présumée au respect de sa vie privée. Par conséquent, la Cour admet que, dans le cadre de procédures pénales se rapportant à des violences sexuelles, certaines mesures soient prises aux fins de protéger la victime, pourvu que ces mesures puissent être conciliées avec un exercice adéquat et effectif des droits de la défense (Aigner précité, § 37, Rosin c. Estonie, no 26540/08, § 53, 19 décembre 2013, et Lučić c. Croatie, no 5699/11, § 75, 27 février 2014). Elle souligne la nécessité de ménager un équilibre entre les droits de l’accusé et ceux du mineur présenté comme la victime. Pour garantir les droits de la défense, les autorités judiciaires peuvent être appelées à prendre des mesures qui compensent les obstacles auxquels se heurte la défense (A.S. c. Finlande, no 40156/07, § 55, 28 septembre 2010).

    49.  Eu égard aux principes établis dans l’affaire de Grande Chambre Al-Khawaja et Tahery précitée, la Cour doit successivement examiner si l’impossibilité pour la défense d’interroger ou de faire interroger un témoin à charge était justifiée par un motif sérieux ; si les dépositions du témoin absent ont constitué la preuve unique ou déterminante de la culpabilité du requérant ; et, enfin, s’il existait des éléments suffisamment compensateurs des inconvénients liés à l’admission d’une telle preuve pour permettre une appréciation correcte et équitable de sa fiabilité (Vronchenko précité, § 57).

    50.  Ces principes ont été explicités dans l’arrêt Schatschaschwili c. Allemagne (no 9154/10, § 111-131, CEDH 2015), où la Grande Chambre a confirmé que l’absence de motif sérieux justifiant la non-comparution d’un témoin ne pouvait en elle-même rendre un procès inéquitable, bien qu’elle demeure un élément de poids s’agissant d’apprécier l’équité globale d’un procès, qui est susceptible de faire pencher la balance en faveur d’un constat de violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d). De plus, le souci de la Cour étant de s’assurer que la procédure dans son ensemble était équitable, elle doit vérifier s’il existait des éléments compensateurs suffisants non seulement dans les affaires où les déclarations d’un témoin absent constituaient le fondement unique ou déterminant de la condamnation de l’accusé, mais aussi dans celles où elle juge difficile de discerner si ces éléments constituaient la preuve unique ou déterminante mais est néanmoins convaincue qu’ils revêtaient un poids certain et que leur admission pouvait avoir causé des difficultés à la défense. La portée des facteurs compensateurs nécessaires pour que le procès soit considéré comme équitable dépendra de l’importance que revêtent les déclarations du témoin absent. Plus cette importance est grande, plus les éléments compensateurs devront être solides afin que la procédure dans son ensemble soit considérée comme équitable (Seton c. Royaume-Uni, no 55287/10, § 59, 31 mars 2016).

    51.  En l’espèce, la Cour relève que le requérant a été déclaré coupable de viol sur une mineure âgée de 14 ans. Pendant l’instruction préliminaire, la victime a été entendue à plusieurs reprises, dont une fois par les enquêteurs et trois fois par le tribunal ; le défenseur du requérant n’a pas été informé que ces auditions auraient lieu. La victime n’a pas participé au procès, car il ressortait des rapports médicaux recueillis par les autorités que cela risquait de nuire à sa santé (paragraphes 17 et 21 ci-dessus). Le dossier de l’affaire montre que le tribunal chargé de l’instruction du procès du requérant avait vérifié si Z.S. pouvait comparaître avant de décider de ne pas la convoquer à l’audience compte tenu d’un avis défavorable des experts. Consciente de la nécessité de protéger les victimes des violences à caractère sexuel, en particulier celles qui sont mineures, la Cour considère que, en l’espèce, l’absence de Z.S. à l’audience et, partant, la lecture de ses dépositions recueillies avant le procès étaient justifiées par un motif sérieux (voir, par analogie, Al-Khawaja, précité, § 120, Gani c. Espagne, no 61800/08, § 45, 19 février 2013, et Rosin, précité, § 55).

    52.  La Cour observe que le requérant a été condamné sur la base des dépositions de Z.S. qu’il incriminait et d’autres preuves corroborant celles-ci. Les constatations relatives à la culpabilité de l’intéressé reposaient sur des preuves directes, telles que les aveux de l’un des coaccusés et les déclarations du témoin oculaire des faits, et sur des preuves indirectes, dont les déclarations de témoins auriculaires, les rapports d’expertise et les résultats de la visite sur le lieu de l’infraction. Les juridictions nationales ont relevé dans leurs motifs que les preuves susmentionnées, analysées conjointement, corroboraient la déposition de la victime à un degré leur permettant de conclure, au-delà de tout doute raisonnable, à la culpabilité du requérant. Il apparaît donc que, bien que les dépositions incriminées de Z.S. aient constitué un élément de preuve à charge important, elles n’ont pas été la preuve unique ou déterminante de la culpabilité du requérant (voir, a contrario, Gani, précité, § 44, Lučić, précité, § 81, Vronchenko, précité, § 59, Rosin, précité, § 56, et Aigner, précité, § 40).

    53.  Quant aux garanties censées contrebalancer les inconvénients causés au requérant par l’absence de Z.S. à l’audience, la Cour relève qu’il n’est pas controversé entre les parties que l’intéressé n’a pas eu la possibilité, et ce à aucun stade de la procédure, d’interroger ou de faire interroger la victime présumée, entre autres parce que son avocat n’avait pas été informé préalablement par les autorités qu’elles procéderaient à des auditions de Z.S. pendant l’enquête préliminaire. Dans son jugement prononcé le 13 juin 2006, le tribunal régional de Wrocław a constaté que l’omission des autorités internes d’informer le défenseur du requérant des auditions de Z.S. a constitué un manquement important aux dispositions du droit interne au regard de la réalisation effective de son droit à se défendre (paragraphe 24 ci-dessus).

    54.  Il est certes regrettable que les autorités ayant instruit l’enquête dirigée contre le requérant n’aient pas usé des moyens légaux à leur disposition pour permettre à l’avocat de l’intéressé d’interroger la victime de l’infraction à ce stade de la procédure. La Cour rappelle également qu’il ne lui appartient pas de se prononcer sur la question de savoir si les dépositions de Z.S., recueillies de manière contraire au droit interne, ont été à bon droit admises en tant que preuves à charge, mais d’examiner si la procédure dirigée contre le requérant dans son ensemble a été équitable. Il lui importe plus particulièrement de savoir si une possibilité adéquate et suffisante de contester la déposition litigieuse et d’interroger son auteure a été offerte au requérant à l’audience, lors de laquelle tous les éléments à charge doivent en principe être produits (Gani, précité, § 44). Au vu des circonstances de l’espèce, la Cour n’est pas convaincue que les autorités judiciaires aient exploré toutes les possibilités pour faire en sorte que le requérant ou son avocat aient une chance de faire entendre Z.S. au procès.

    55.  Néanmoins, dans ce contexte, la Cour réitère l’observation qu’elle a faite au paragraphe 46 ci-dessus, selon laquelle l’absence de Z.S. et, partant, l’impossibilité en ayant résulté pour le requérant de l’interroger ou de la faire interroger à l’audience étaient justifiées par un motif sérieux. Elle note que les dépositions faites par Z.S. avant le procès ont été lues à l’audience, ce qui a permis au requérant d’en prendre connaissance et de les discuter, dans le respect du principe du contradictoire et en présence de son avocat. Elle observe encore que, à l’audience, le requérant a eu l’occasion d’interroger la psychologue qui avait été en contact direct avec la victime et qui avait assisté aux auditions au cours desquelles ses dépositions avaient été recueillies (paragraphe 21 ci-dessus). Toutefois, il ne ressort pas du dossier que le requérant soit parvenu à réfuter les dépositions de Z.S. ni à jeter le doute sur leur crédibilité.

    56.  La Cour relève qu’il ressort des motifs des juridictions nationales que, en l’espèce, les juges étaient conscients de la nécessité d’examiner avec les précautions requises la preuve constituée par les dépositions de Z.S. (Gossa c. Pologne, no 47986/99, § 62, 9 janvier 2007). Le fait que celles-ci ont été recueillies par un magistrat constitue aux yeux de la Cour un élément important à prendre en compte. Les motifs susmentionnés des juridictions internes montrent que la portée des déclarations de Z.S. a été analysée avec soin à la lumière de l’ensemble des éléments de preuve et que la conclusion à laquelle les juges sont parvenus à propos de la crédibilité de ses propos était dûment motivée.

    La Cour observe à cet égard que, pour apprécier la crédibilité de Z.S., les juridictions nationales ont tenu compte de l’expertise psychologique aux termes de laquelle ses déclarations devaient être considérées comme étant dignes de foi (voir, a contrario, Rosin, précité, § 61) et dont les conclusions ont été confirmées par l’expert à l’audience en présence du requérant et de son défenseur (paragraphe 21 ci-dessus). De plus, à l’audience, l’expert en question a été interrogé par les juges et par les défenseurs (voir, a contrario, Vronchenko, précité, § 64).

    57.  La Cour relève également que le jugement du tribunal de district d’Oława a été précédé d’une analyse en profondeur de la crédibilité des principaux témoins, parmi lesquels l’un des deux coaccusés du requérant et le témoin oculaire des faits. La décision du tribunal montre que le rejet des deuxièmes déclarations des témoins en cause, qui contredisaient les dépositions de Z.S., a été amplement motivé (paragraphes 17-19 ci-dessus). Il ressort en outre des motifs que les allégations desdits témoins à propos de leurs premières déclarations, prétendument viciées par les mesures de contrainte qu’auraient employées les agents de police à leur encontre, ont fait l’objet d’un examen très minutieux.

    La Cour note enfin que le tribunal de district d’Oława a effectué un examen circonstancié de l’ensemble des faits et des éléments de preuve, que, en appel, son jugement a été contrôlé en profondeur par le tribunal régional de Wrocław (Brzuszczyński c. Pologne, no 23789/09, § 88, 17 septembre 2013) et que, enfin, le pourvoi en cassation du requérant a été rejeté par la Cour suprême pour défaut manifeste de fondement (paragraphes 23-26 ci-dessus).

    58.  Compte tenu de ce qui précède, et, en particulier, eu égard au fait que la condamnation de l’intéressé ne reposait pas exclusivement sur la déposition litigieuse de Z.S. mais qu’elle était étayée par d’autres preuves dont la solidité n’est pas controversée en l’espèce, la Cour estime que le fait que le requérant n’a pas pu interroger Z.S. n’a pas porté atteinte à son droit à un procès équitable.

    59.  Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable ;

     

    2.  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention.

     

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 mai 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

         Fatoş Aracı                                                                          András Sajó
    Greffière adjointe                                                                       Président


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