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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> HA.A. v. GREECE - 58387/11 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (First Section)) French Text [2016] ECHR 374 (21 April 2016)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/374.html
Cite as: [2016] ECHR 374

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    PREMIÈRE SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE HA.A. c. GRÈCE

     

    (Requête no 58387/11)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    21 avril 2016

     

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Ha.A. c. Grèce,

    La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

              Mirjana Lazarova Trajkovska, présidente,
              Linos-Alexandre Sicilianos,
              Paul Mahoney,
              Aleš Pejchal,
              Robert Spano,
              Armen Harutyunyan,
              Pauliine Koskelo, juges,
    et de Abel Campos, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 mars 2016,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 58387/11) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant iraquien, M. Ha.A. (« le requérant »), a saisi la Cour le 3 juillet 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). La présidente de la section a à l’époque accédé à la demande de non-divulgation de son identité formulée par le requérant (article 47 § 4 du règlement).

    2.  Le requérant a été représenté par Mes I.-M. Tzeferakou et A. Tsapopoulou, avocates au barreau d’Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par le délégué de son agent, Mme K. Georghiadis, assesseur auprès du Conseil juridique de l’État.

    3.  Le 29 août 2014, la requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    A.  La procédure relative à l’expulsion et la détention du requérant

    4.  Le requérant est né en 1993 et réside à Athènes. Le 6 août 2010, il arriva en Grèce et fut arrêté par la police de Tychero pour entrée illégale sur le territoire grec. Il allègue avoir formulé une demande pour se voir offrir une protection internationale en tant que réfugié mais celle-ci n’a pas été enregistrée par les autorités compétentes. Sa détention fut ordonnée en vue de son expulsion. Le même jour, le requérant fut transféré et mis en détention au centre de rétention de Tychero.

    5.  Le 11 août 2010, il reçut par l’autorité compétente une brochure informative, rédigée en arabe, indiquant les raisons de sa mise en détention et expliquant ses droits. Le 14 août 2010, le directeur de la police d’Alexandroupoli ordonna l’expulsion du requérant et son maintien en détention pour une période ne pouvant pas dépasser six mois au motif qu’il risquait de fuir (décision no 9760/20-3234/1-β).

    6.  À une date non précisée, les autorités nationales soumirent, sur la base de la loi no 3030/2002, aux autorités turques une demande de renvoyer le requérant en Turquie. La suite de cette procédure ne ressort pas du dossier.

    Le 18 août 2010, le requérant fut transféré au centre de rétention de Venna. Le 23 septembre 2010, le Conseil grec pour les réfugiés informa les autorités que le requérant avait exprimé son intention de déposer une demande d’asile. Le 24 septembre 2010, il fut renvoyé au centre de rétention de Tychero.

    7.  Le 4 octobre 2010, le requérant, par l’intermédiaire des avocats du Conseil grec pour les réfugiés, déposa une demande d’asile. Le 3 novembre 2010, le directeur de la police d’Alexandroupoli rejeta ladite demande (décision no 5401/5-30). Le 9 décembre 2010, le requérant exerça un recours, en vertu de l’article 32 du décret présidentiel no 114/2010 contre la décision no 5401/5-30.

    8.  Le même jour, le requérant demanda au ministère de la Solidarité sociale par l’intermédiaire des avocats du Conseil grec pour les réfugiés de lui trouver une structure d’accueil en vertu de l’article 6 du décret présidentiel no 220/2007.

    9.  Le 13 décembre 2010, le requérant, par l’intermédiaire des avocats surnommés, saisit le président du tribunal administratif d’Alexandroupoli des objections contre sa détention. Se prévalant de la jurisprudence de la Cour, il alléguait que sa détention n’était pas légale et qu’il ne constituait pas de danger pour l’ordre public. Il relevait aussi que le centre de rétention de Tychero n’était pas un lieu approprié pour sa détention. Le 15 décembre 2010, ses objections furent rejetées. Le président du tribunal administratif considéra que le requérant était susceptible de fuir en cas d’élargissement. Quant aux doléances relatives aux conditions de détention, il considéra qu’elles étaient soulevées sans preuves et, en tout état de cause, de manière irrecevable (αλυσιτελώς) (décision no P198/2010).

    10.  Le 27 décembre 2010, le requérant soumit une demande de révocation de la décision no P198/2010. Il releva notamment que sa détention n’était pas nécessaire car il pouvait rester dans un lieu d’hébergement pour réfugiés à Athènes, dirigé par une organisation non-gouvernementale et que ses conditions de détention se dégradaient. Le 3 janvier 2011, le président du tribunal administratif d’Alexandroupoli fit droit à cette demande et le requérant fut remis en liberté. Il considéra que la continuation de la détention du requérant n’était pas légale, compte tenu du fait qu’il pouvait être accueilli par une organisation non-gouvernementale (décision no P7/2011).

    B.  Les conditions de détention

    1.  La version du requérant

    11.  Le requérant souligne que les conditions de détention au poste frontière de Tychero rendent impossible même une détention de courte durée. Il prétend que pendant sa détention, il ne sortit jamais des bâtiments, ce qui eut une influence néfaste sur sa santé physique et psychologique. Il affirme qu’en raison de cette situation il fit une tentative de suicide.

    12.  Le requérant soutient que la capacité d’hébergement du centre était de 45 personnes mais que pendant sa détention le nombre oscillait entre 100 et 200. Il était obligé de dormir à même le sol à côté des eaux usées suite au débordement des toilettes. Dans les espaces de détention, il n’y avait ni chaises, ni tables, ni rangement. Les lieux n’étaient ni nettoyés ni désinfectés. Le requérant ne reçut aucun produit de toilette ou d’hygiène. Les quelques couvertures étaient crasseuses. L’accès aux soins médicaux était très limité. En outre, aucun interprète n’était présent et les détenus, comme le requérant, n’étaient pas informés des raisons et de la durée de leur détention. Aucune information n’était donnée concernant les droits des détenus et la procédure d’asile.

    2.  La version du Gouvernement

    13. Le Gouvernement affirme que l’alimentation des détenus était assurée par la préfecture d’Évros, qui avait conclu un contrat avec une société de restauration. Les détenus recevaient trois repas par jour, au prix de 5,87 euros. Le chauffage était assuré par un système central qui fonctionnait en continu. Il y avait des téléphones publics à cartes qui fonctionnaient au sein du poste frontière de Tychero et la communication des détenus avec leurs avocats et leurs proches s’effectuait sans entraves.

    14.  Les besoins des détenus, tels que les soins médicaux et pharmaceutiques, faisaient l’objet de programmes approuvés notamment par la Commission européenne. Lesdits programmes comprenaient la réception, le transfert, l’alimentation et la distribution d’articles d’hygiène personnelle aux détenus. Deux équipes médicales mobiles étaient actives dans la région. Les cinq centres de rétention de la région disposaient d’un personnel médical en permanence. Les détenus qui ne pouvaient être traités sur place étaient transférés dans les centres de santé régionaux ou à l’hôpital universitaire d’Alexandroupoli. L’association « Médecins sans frontières » fournissait également des services médicaux aux détenus.

    II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

    15.  Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce sont décrits dans les arrêts M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC] (no 30696/09, CEDH 2011) ; Bygylashvili c. Grèce (no 58164/10, 25 septembre 2012) ; Barjamaj c. Grèce (no 36657/11, 2 mai 2013) ; Khuroshvili c. Grèce (no 58165/10, 12 décembre 2013) ; B.M. c. Grèce (no 53608/11, 19 décembre 2013), C.D. et autres c. Grèce (nos 33441/10, 33468/10 et 33476/10, 19 décembre 2013), et De los Santos et de la Cruz c. Grèce (nos 2134/12 et 2161/12, §§ 21-25, 26 juin 2014).

    III.  LES RAPPORTS DES INSTANCES INTERNATIONALES ET NATIONALES

    A.  Les constats du CPT dans le rapport du 10 janvier 2012, établi suite à la visite du 19 au 27 janvier 2011

    16.  Le CPT relevait que les conditions de détention au poste frontière de Tychero étaient mauvaises. Au temps de la visite, il y avait 139 personnes détenues et cent environ étaient « entassées » dans une chambre de 35 m2. L’annexe avec trois toilettes et une douche n’avait pas de lumière et était sale. Depuis décembre 2010, l’association « Médecins sans frontières » fournissait des services médicaux aux détenus.

    B.  Les constats de la Commission nationale pour les droits de l’homme et du Médiateur de la République

    17.  Du 18 au 20 mars 2011, la Commission nationale pour les droits de l’homme et le Médiateur de la République ont visité les centres de rétention des départements d’Evros et de Rodopi afin d’examiner les conditions de détention des étrangers et l’application de la législation relative à l’asile.

    18.  En ce qui concerne le poste frontière de Tychero, le médiateur indiquait que la capacité maximale du centre était de 80 personnes. À la date de la visite de la Commission, le centre en accueillait 122, dans trois lieux séparés. Le premier espace, destiné aux détenus qui allaient être interviewés par FRONTEX, accueillait des femmes et des hommes assis ou allongés au sol. Les locaux n’étaient pas suffisamment éclairés, ventilés et chauffés, et l’atmosphère était étouffante. Un téléphone public à cartes fonctionnait dans cet espace. En raison de l’accès limité aux toilettes, les détenus sortaient dans la cour intérieure ou dans un couloir devant les cellules afin de faire leurs besoins. Les deux autres espaces, destinés aux demandeurs d’asile ou des personnes détenus en vue de leur expulsion, ne répondaient pas aux exigences des conditions de détention « même pas pour un jour », étant donné le manque d’éclairage et d’aération et les mauvaises conditions d’hygiène.

    19.  Les autorités auraient affirmé à la Commission que les détenus ne restaient dans les lieux que de trois à quinze jours à cause des mauvaises conditions de détention. Cependant, la Commission a constaté que plusieurs détenus y séjournaient depuis deux, trois et cinq mois. À cause du nombre insuffisant de policiers, il n’y avait aucune possibilité de se promener. Enfin, selon les autorités, un médecin et une infirmière fournissaient des soins médicaux et un assistant social et un psychologue visitaient le centre.

    EN DROIΤ

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION EN RAISON DES CONDITIONS DE DÉTENTION DU REQUÉRANT

    20.  Le requérant se plaint des conditions de détention dans les locaux du poste frontière de Tychero. Il invoque l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

    Article 3

    « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    A.  Sur la recevabilité

    1.  Thèses des parties

    21.  Le Gouvernement allègue tout d’abord que vu le temps écoulé depuis l’enregistrement de la présente requête, le requérant pourrait ne plus vouloir maintenir sa requête devant la Cour. Il demande à la Cour de lui fournir un pouvoir plus récent par lequel le requérant confirmerait son intention de poursuivre l’examen de la requête par la Cour. En outre, il relève que le requérant a déposé ses observations le 24 août 2015, à savoir en dehors du délai fixé par la Cour et sans demander de satisfaction équitable à titre du dommage subi pour les violations de la Convention alléguées. Tout en estimant que les observations du requérant ne sauraient être prises en compte par la Cour, il conclut que cette attitude de la part du requérant fait preuve d’un manque de volonté pour poursuivre sa requête.

    2.  Appréciation de la Cour

    22.  La Cour note que le requérant a produit un pouvoir de représentation par son avocate qu’il a signé et daté du 21 décembre 2010. Elle considère que ce document montre clairement, conformément à l’article 45 de son Règlement, l’intention du requérant de soumettre la présente requête à la Cour par l’intermédiaire de sa représentante. Par conséquent, l’objection d’irrecevabilité ratione personae soulevée en substance par le Gouvernement ne saurait être retenue. Au demeurant, le 2 juin 2015, et après avoir constaté que les parties n’avaient pas déposé d’observations, la Cour a invité le requérant à soumettre, au 23 juin 2015, ses observations sur la recevabilité, le bien-fondé de la requête et la satisfaction équitable. Ces observations, reçues le 24 août 2015, ont été acceptées par la Cour. Le Gouvernement a déposé les siennes, le 16 octobre 2015. Au vu de ce qui précède, la Cour considère qu’il ne ressort d’aucune pièce du dossier la volonté du requérant de ne plus poursuivre sa requête devant la Cour.

    23.  La Cour constate, en outre, que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle le déclare donc recevable.

    B.  Sur le fond

    1.  Thèses des parties

    24.  Le requérant se réfère à sa version concernant les conditions de détention (voir paragraphes 11-12 ci-dessus) et à la jurisprudence pertinente de la Cour.

    25.  Le Gouvernement renvoie à sa version concernant les conditions de détention dans le centre de rétention de Tychero (voir paragraphes 13-14 ci-dessus). Il soutient que même dans le cas où lesdites conditions n’étaient pas considérées comme complétement satisfaisantes elles n’auraient pas atteint le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention.

    2.  Appréciation de la Cour

    26.  En ce qui concerne les principes généraux concernant l’application de l’article 3 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir notamment, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 90-94, CEDH 2000-XI ; Peers c. Grèce, no 28524/95, §§ 67-68, CEDH 2001-III ; Kalachnikov c. Russie, no 47095/99, § 95, CEDH 2002-VI ; Riad et Idiab c. Belgique, nos 29787/03 et 29810/03, § 97, 24 janvier 2008 ; Tabesh c. Grèce, no 8256/07, §§ 34-37, 26 novembre 2009 ; Rahimi c. Grèce, no 8687/08, §§ 59-62, 5 avril 2011 ; R.U. c. Grèce, no 2237/08, §§ 54-56, 7 juin 2011 ; A.F. c. Grèce, no 53709/11, §§ 68-70, 13 juin 2013 ; De los Santos et de la Cruz, précité, § 43).

    27.  En l’espèce, la Cour constate que les versions des parties divergent sur la plupart des points relatifs aux conditions de détention du requérant. Elle rappelle cependant que, lorsqu’il y a contestation sur les conditions de détention, point n’est besoin pour elle d’établir la véracité de chaque élément litigieux : elle peut conclure à la violation de l’article 3 de la Convention sur la base de toute allégation grave non réfutée par le Gouvernement (voir, mutatis mutandis, Grigorievskikh c. Russie, no 22/03, § 55, 9 avril 2009). À cet égard, le fait que, sans donner de justification satisfaisante, un gouvernement s’abstient de fournir les informations dont il dispose peut permettre de tirer des conclusions quant au bien-fondé des allégations en question (Ahmet Özkan et autres c. Turquie, no 21689/93, § 426, 6 avril 2004).

    28.  La Cour note que les conditions de détention prévalant dans les locaux du poste frontière de Tychero où le requérant fut placé pendant quatre mois environ sont révélées par plusieurs rapports d’organisations et organes grecs et internationaux qui les ont visités peu après la libération du requérant, notamment le CPT, la Commission nationale des droits de l’homme et le Médiateur de la République. Ces organes mettent en avant le manque d’espace sévère dont souffraient les détenus : selon le CPT, à la date de sa visite en janvier 2011, il y avait 139 détenus et cent environ étaient « entassés » dans un espace de 35 m2 ; selon la Commission nationale des droits de l’homme et le Médiateur de la République, en mars 2011, il y avait 122 détenus dans trois dortoirs, d’une capacité de 80 personnes (voir paragraphes 16-19 ci-dessus et, aussi, A.Y. c. Grèce, no 58399/11, §§ 57-61, 5 novembre 2015).

    29.  Au vu de ce qui précède, la Cour considère que le requérant n’a pas bénéficié d’un espace de vie conforme aux critères fixés par sa jurisprudence. Ce constat quant à l’espace attribué au requérant, qui permet à lui seul de conclure à la violation de l’article 3 de la Convention, dispense la Cour d’examiner les autres allégations du requérant, relatives à ses conditions de détention.

    30.  La Cour estime que les conditions de détention en cause, compte tenu également de la durée de la détention du requérant de quatre mois environ, ont soumis l’intéressé à une épreuve d’une intensité qui excédait le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention.

    31.  Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.

    II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 5 §§ 1 ET 4 AINSI QUE 13 DE LA CONVENTION

    32.  Le requérant se plaint de l’irrégularité de sa mise en détention, ainsi que de l’inefficacité du contrôle juridictionnel de la détention. Il invoque les articles 5 §§ 1 et 4 de la Convention à cet égard. Enfin, invoquant l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3, le requérant dénonce l’absence de recours effectif pour se plaindre des conditions de sa détention. Les parties pertinentes des dispositions précitées sont ainsi libellées :

    Article 5

    « 1.  Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

    (...)

    f)  s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.

    (...)

    4.  Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

    Article 13

    « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

    A.  Sur la recevabilité

    33.  La Cour constate que les présents griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.

    B.  Sur le fond

    1.  Sur le grief tiré de l’article 5 § 1 de la Convention relatif à la régularité de la mise en détention

    a)  Thèses des parties

    34.  Le requérant affirme que sa détention, qui a débuté le 6 août 2010, était arbitraire notamment en raison de sa durée, combinée avec les conditions de celle-ci.

    35.  Le Gouvernement soutient que la détention du requérant était prévue par la loi, à savoir l’article 76 de la loi no 3386/2005 et, du moment qu’il ne possédait pas de documents de voyage, elle était nécessaire afin de garantir son éventuelle expulsion.

    b)  Appréciation de la Cour

    36.  En ce qui concerne les principes généraux régissant l’application de l’article 5 § 1 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir notamment, Saadi c. Royaume-Uni [GC], no 13229/03, §§ 64 et 74, CEDH 2008 ; Mooren c. Allemagne [GC], no 11364/03, §§ 72-81, CEDH 2009 ; Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 73, Recueil des arrêts et décisions 1996-V ; Baranowski c. Pologne, no 28358/95, §§ 50-52, CEDH 2000-III ; Barjamaj, précité, §§ 36-38, et Khuroshvili, précité, §§ 107-108).

    37.  En l’occurrence la Cour note, en premier lieu, que la privation de liberté du requérant était fondée sur l’article 76 de la loi n3386/2005. Partant, la situation litigieuse tombe sous le coup de l’alinéa f) de l’article 5 § 1 de la Convention et trouve un fondement en droit interne. La Cour rappelle sur ce point que l’article 5 § 1 f) n’exige pas que la détention d’une personne contre laquelle une procédure d’expulsion est en cours soit considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir (Chahal, précité, § 112). Au vu de ce qui précède, la Cour considère que la détention du requérant servait à l’empêcher de rester irrégulièrement sur le territoire grec et à garantir son éventuelle expulsion. Par conséquent, elle estime que la bonne foi des autorités compétentes ne peut pas être mise en question en l’espèce.

    38.  En second lieu, s’agissant de la durée de la détention, la Cour rappelle que, dans le contexte de l’article 5 § 1 f), seul le déroulement de la procédure d’expulsion justifie la privation de liberté fondée sur cette disposition et que, si la procédure n’est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse d’être justifiée (Chahal, précité, § 113 ; Gebremedhin [Gaberamadhien] c. France, no 25389/05, § 74, CEDH 2007-II).

    39.  Or, la Cour relève tout d’abord que le requérant a été détenu pour une période de cinq mois environ, à savoir du 6 août 2010 au 3 janvier 2011, date à laquelle il a été remis en liberté suite à la décision no 7/2011 du président du tribunal administratif d’Alexandroupoli. La Cour estime qu’un tel délai ne doit pas être considéré en soi comme excessif pour l’accomplissement des formalités administratives en vue de la matérialisation de son expulsion.

    40.  Cela est d’autant plus vrai que les autorités internes n’ont pas fait preuve d’un manque évident de diligence quant à la matérialisation de l’expulsion du requérant. Ainsi, à une date non précisée, elles ont soumis, sur la base de la loi no 3030/2002, aux autorités turques une demande de renvoi du requérant vers la Turquie. Par ailleurs, le requérant a soumis une demande d’asile, le 4 octobre 2010, qui a été rejetée en première instance le 3 novembre 2010. Il ne saurait donc être reproché aux autorités internes de ne pas avoir examiné « en priorité absolue », comme prévu par le droit interne (voir paragraphe 15 ci-dessus) la demande d’asile du requérant, déposée au cours de sa détention.

    41.  En dernier lieu, ayant conclu à une violation de l’article 3 en raison des conditions de détention dans le poste frontière dans lequel le requérant a été détenu (paragraphe 31 ci-dessus), la Cour n’estime pas nécessaire de se placer une fois de plus sur ce terrain sous l’angle de l’article 5 § 1 f) (voir Horshill c. Grèce, no 70427/11, § 65, 1er août 2013).

    42.  Au vu de ce qui précède, la Cour considère que la détention du requérant n’était pas arbitraire et que l’on ne saurait considérer qu’elle n’était pas « régulière » au sens de l’article 5 § 1 f) de la Convention.

    43.  Il n’y a donc pas eu violation de cette disposition.

    2.  Sur les griefs tirés des articles 5 § 4 et 13 de la Convention relatifs à l’ineffectivité du contrôle juridictionnel de la détention

    a)  Thèses des parties

    44.  En se référant à la jurisprudence de la Cour, le requérant se plaint de l’inefficacité du contrôle juridictionnel de sa détention et soutient qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

    45.  Le Gouvernement allègue qu’en vertu de la loi no 3900/2010, l’article 76 de la loi no 3386/2005 a été modifié et le juge administratif a dorénavant expressément le pouvoir de contrôler la légalité de la détention des personnes qui se trouvent sous écrou en vue de leur expulsion. Il ajoute que les objections du requérant ont été acceptées par le tribunal administratif, qui a statué que la continuation de la détention du requérant n’aurait pas été légale.

    b)  Appréciation de la Cour

    46.  En ce qui concerne les principes généraux régissant l’application de l’article 5 § 4 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir notamment, Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 61, CEDH 2001-II ; S.D. c. Grèce, no 53541/07, 11 juin 2009, et Herman et Serazadishvili c. Grèce, no 26418/11 et 45884/11, § 71, 24 avril 2014).

    47.  En l’espèce la Cour note, tout d’abord, qu’en ce qui concerne les objections qu’un étranger peut formuler à l’encontre de la décision ordonnant sa détention en vue de son expulsion, le quatrième paragraphe de l’article 76 de la loi no 3386/2005 prévoyait, jusqu’au 1er janvier 2011, soit à l’époque des premières objections du requérant, que ledit organe judiciaire pouvait examiner la décision de la détention uniquement sur le terrain du risque de fuite ou de danger pour l’ordre public. La Cour a, à plusieurs reprises, considéré que cette formulation était empreinte d’ambiguïté dans la mesure où, tel qu’il était rédigé, l’article 76 § 4 n’accordait pas expressément au juge le pouvoir d’examiner la légalité du renvoi qui constituait, selon le droit grec, le fondement juridique de la détention (R.U. c. Grèce, précité, § 103 ; A.A. c. Grèce, no 12186/08, § 73, 22 juillet 2010 ; Tabesh, précité, § 62 ; S.D. c. Grèce, précité, § 73).

    48.  Il est vrai qu’en vertu de la loi no 3900/2010, le paragraphe 4 de l’article 76 de la loi no 3386/2005 a été modifié et prévoit désormais que le juge compétent « se prononce aussi sur la légalité de la détention ou de sa prolongation », ce qui inclut aussi les conditions matérielles de détention. Or, la Cour note que la loi no 3900/2010 est entrée en vigueur le 1er janvier 2011, tandis qu’en l’occurrence le président du tribunal administratif a statué sur les premières objections du requérant le 15 décembre 2010. Partant, les conclusions auxquelles la Cour est déjà parvenue dans la jurisprudence précitée quant à l’effectivité des objections devant le président du tribunal administratif sont aussi valables dans la présente affaire (voir Herman et Serazadishvili, précité, § 72).

    49.  En se penchant sur les circonstances particulières de l’espèce, la Cour observe que la décision no P198/2010 du président du tribunal administratif d’Alexandroupoli a rejeté les objections du requérant à l’égard de sa mise en détention sans examiner sa légalité dans son ensemble et en rejetant comme irrecevables les arguments concernant ses conditions de détention. En effet, ledit tribunal s’est contenté de constater que le requérant était susceptible de fuir. Cette décision a fondé le maintien en détention du requérant jusqu’au 3 janvier 2011, date à laquelle la décision no P7/2011 du tribunal administratif d’Alexandroupoli a été adoptée. Cette seconde décision ne peut pas remédier aux défauts de la première car elle a accepté les objections au seul motif que l’intéressé pouvait être pris en charge par une organisation non-gouvernementale. Elle n’a ainsi pas remis en cause les conclusions auxquelles le président du tribunal administratif était parvenu le 15 décembre 2010.

    50.  La Cour considère que les insuffisances du droit interne à l’époque des faits quant à l’effectivité du contrôle juridictionnel de la mise en détention aux fins d’expulsion ne peuvent se concilier avec les exigences de l’article 5 § 4 de la Convention. Elle conclut donc qu’il y a eu violation de cette disposition.

    51.  Enfin, eu égard aux faits de l’espèce, aux thèses des parties et aux conclusions formulées sous l’angle de l’article 5 § 4 de la Convention, la Cour estime qu’elle a examiné les principales questions juridiques soulevées par la présente requête quant à l’effectivité des recours internes disponibles et qu’il n’y a pas lieu de statuer séparément sur le grief tiré de l’article 13 de la Convention, l’article 5 § 4 constituant une lex specialis par rapport aux exigences plus générales de l’article 13 (Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 69, CEDH 1999-II).

    III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 2 DE LA CONVENTION

    52.  Invoquant l’article 5 § 2 de la Convention, le requérant se plaint qu’il n’a pas été informé dans une langue qu’il comprenait des motifs de sa détention et des recours existants contre la décision le plaçant en détention.

    53.  Eu égard au constat relatif à l’article 5 § 4 (paragraphe 50 ci-dessus), la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner s’il y a eu, en l’espèce, violation de cette disposition (voir, entre autres, Rahimi, précité, § 121).

    IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    54.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    55.  La Cour note que le requérant ne soumet aucune prétention pour dommage ni pour frais et dépens. La Cour en prend note et décide, en conséquence, de ne rien lui allouer.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne les conditions de détention dans le poste frontière de Tychero ;

     

    3.  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;

     

    4.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;

     

    5.  Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément les griefs tirés des articles 5 § 2 et 13 de la Convention.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 21 avril 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

        Abel Campos                                                   Mirjana Lazarova Trajkovska
            Greffier                                                                      Présidente


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