Civ. 3ème, 29 janvier 2014 (pourvoi n° 12-27919)

L’assureur qui prend la direction du procès est censé renoncer à “toutes les exceptions dont il avait connaissance” (article L. 113-17 du Code des assurances). Selon une formule souvent rencontrée, mais qui conserve sa part de mystère, la jurisprudence a précisé que les exceptions visées par l’article L. 113-17 du Code des assurances, en ce qu’elles se rapportent aux garanties souscrites, ne concernent ni la nature des risques souscrits, ni le montant de la garantie.

Si l’on conçoit bien que l’assureur, prenant la direction du procès, ne renonce pas pour autant à opposer ses plafonds de garantie, il est plus difficile de saisir ce que recouvriraient les “exceptions concernant la nature des risques souscrits”, auxquelles l’assureur n’est pas censé renoncer.

L’arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 29 janvier 2014 apporte à ce sujet une précision utile.

A la suite de l’apparition de désordres affectant le carrelage d’une maison, l’entrepreneur chargé de la mise en œuvre du sable et de la dalle en béton est assigné, avec son assureur, en indemnisation du préjudice subi par le maître d’ouvrage.

L’assureur prend la direction du procès et, devant les juges du fond, invoque le caractère “non décennal” des dommages, soutenant que ceux-ci relèvent de la garantie biennale de bon fonctionnement des éléments d’équipement – ce qui lui permettait de soutenir en conséquence que l’action exercée à l’encontre de son assuré était prescrite.

Or, écartant les arguments de l’assureur, la Cour d’appel condamne l’entrepreneur sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun, appliquant en cela une solution désormais bien établie selon laquelle “les dallages ne constituent pas des éléments d’équipement soumis à la garantie de bon fonctionnement” (Civ. 3ème, 13 février 2013, pourvoi n° 12-12.016), dont il découle que si des désordres affectent des carrelages, sans compromettre la solidité de l’ouvrage ni le rendre impropre à sa destination, ce qui les place hors du champ de la garantie décennale, ces désordres, “affectant un élément dissociable de l’immeuble, non destiné à fonctionner, relèvent de la garantie de droit commun” (Civ. 3ème, 11 septembre 2013, n° 12-19483).

L’entrepreneur assuré se voyant reconnu responsable des dommages sur le fondement de la responsabilité de droit commun, son assureur lui opposait une absence de garantie puisque sa police d’assurance ne couvrait que la responsabilité décennale, et non la responsabilité de droit commun.

L’entrepreneur tentait alors de faire juger que son assureur avait renoncé à se prévaloir de cette non garantie en prenant la direction du procès.

La Cour d’appel rejette cet argument, suivie par la Cour de cassation, qui rappelle que “les exceptions visées par l’article L. 113-17 du code des assurances, en ce qu’elles se rapportent aux garanties souscrites, ne concernent [pas] la nature des risques souscrits”.

Il s’en évince que la nature de la responsabilité couverte par la police serait une “exception concernant la nature des risques souscrits”, à laquelle l’assureur n’est pas réputé renoncer lorsqu’il prend la direction du procès. On peut penser qu’il en irait de même, par exemple, dans le cas d’un contrat de responsabilité civile générale qui ne couvrirait que la responsabilité délictuelle.

La solution se justifie dans la mesure où, en réalité, ces cas de non-garantie ne sont pas des “exceptions” (comme peut l’être une exclusion de risque, une déchéance, ou encore la prescription). En effet, on ne peut parler d’exception que si le sinistre entre a priori dans le champ de la garantie. Si, en revanche, le sinistre ne répond pas aux conditions de la garantie, il y a tout simplement non-assurance. Il devrait par exemple en aller ainsi au cas où l’assuré engagerait sa responsabilité au titre d’activités professionnelles non assurées, même s’il ne semble pas que la question ait été tranchée.

Quoiqu’il en soit, ces principes ne sont pas toujours strictement appliqués, y compris devant la Cour de cassation. On ne saurait donc trop insister sur la règle de base selon laquelle les réserves de l’assureur sont de nature à empêcher qu’il soit réputé avoir renoncé à certaines exceptions ou causes de non-garantie. Il est donc important pour lui de formuler des réserves claires, précises et motivées sur la garantie, lorsqu’il prend la direction du procès.

Enfin, la décision rapportée amène à s’interroger sur la protection des intérêts de l’assuré par l’assureur. Certes, la stratégie de celui-ci était d’éviter toute responsabilité pour son assuré, en invoquant l’absence de responsabilité décennale. Mais ce faisant, il prenait le risque de voir l’entrepreneur reconnu responsable sur le fondement du droit commun, et à ce titre, non garanti par sa police d’assurance. Et c’est bien qui est advenu.

A cet égard, si la décision rapportée précise la portée de la prise de direction du procès, elle n’aborde cependant pas la question de la responsabilité que l’assureur, considéré comme mandataire de l’assuré, pourrait éventuellement encourir à raison de la stratégie de défense qu’il adopte.